vendredi 30 juin 2023

8. Les abeilles retrouvées à l’ombre d’une fillette en fleur

Chers Albertivillariens, citoyens du monde
A l’heure où j’écris, ce petit blog local - votre humble Marmonnateur - a passé les 29 milliards d’abonnés, c’est dire si la révolution des abeilles partie d’ici fait des émules dans le monde.


Bien que l’invocation des abeilles ait été filmée par moultes télémods et largement diffusée depuis sur la toile, mais aussi sur les télévisions  internationales, je me devais bien sûr, en tant que modeste découvreur du mystère de leur disparition, d’en faire ici la narration. Je dois aussi chers suiveurs vous remercier pour votre confiance et la bonne volonté salvatrice dont vous avez fait preuve en vous rendant massivement au rendez-vous  fixé.


L’histoire s’est écrite en lettres d’or : Nous étions environ 100 000 sur les bords du canal ce mardi historique, tous les albertivillariens, mais aussi de nombreux habitants de Pantin, Saint-Denis, Bobigny, La Courneuve -  et même quelques fils d’insupportables petits bourgeois protégés emmurés parisiens à la pointe de la révolt’hype écotronique – Démission coupable : Que voulez-vous, on ne s’invente pas militant de la biodiversité du grand soir au lendemain… Nul lapin n’est jamais sorti du chapeau de notre ex maire… S’il fallait encore se convaincre de l’abyssale dangerosité de sa connerie la profondeur de son désintérêt pour la vie même, le maire et son épouse étaient aux abonnés absents (les enfants et le chien, en revanche, qu’ils en soient remerciés ici, étaient bien parmi nous). Ces gens-là vivraient d’ailleurs toujours tranquillement en Lementorie si un conseil municipal d’anthologie n’avait depuis mis fin à des années de scandaleuse inanité politique et débarqué le maire de son poste.


Revenons aux faits : J’ai pris mon porte-voix pour demander le silence, et Soledad Therrien, plus connue comme «  La Sorcière » est montée sur une benne à ciment, afin d’être vue de loin par le plus possible des participants à la cérémonie de supplique aux abeilles.
 

Les faits : En ces bords du canal il subsiste quelques talus qui ont échappé à la folie tulipante de notre maire, et il flottait dans l’air une odeur doucereuse de pollen. Les faits : Au pied de la benne, tête levée, je serrais fort la main de la petite Séléna, que sa maman avait vêtue d’une robe blanche et dont les nattes tortillées étaient tissées de rubans de même couleur. Elle faisait un angelot de chœur plus qu’honorable, et quoique les abeilles n’aient point nos humaines propensions au sentimentalisme, il me semblait que la seule vue de Séléna aurait quelque pouvoir à adoucir l’ire des mouches à miel.
 

Les faits : Un silence lourd a pesé quelques instants sur la foule – ceux qui étaient là ont comme moi perdu par la suite le sens du temps, mais je dirais que cela a sans doute dû durer quelques minutes. Elles m’ont semblé fort longues tant l’inquiétude que nous échouions m'oppressait le cœur. Enfin la sorcière a entamé son chant invocatoire.
 

Les faits : Sa voix a tonné d’emblée surnaturellement amplifiée, comme si le ciel lui servait de caisse de résonnance. Ses mains tremblaient mais elle semblait habitée d’une force immense. Les faits : Une lueur orangée a enflé dans sa poitrine avant de sortir par sa bouche puis de flotter doucement dans l’air, comme ballottée par le souffle de Soledad, et semblant hésiter.

Les faits : Tout à coup, la petite Séléna s’est mise à chanter, ou plutôt à vibrer, comme un écho sourd au chant de Soledad. Le chant du peuple : Autour de nous, la foule a senti la justesse de cette intuition enfantine, et s’est mise à bourdonner un La musical plein de force et d’humilité, qui bientôt était repris et répété par 100 000 poitrines, pour devenir tellement intense qu’il  m’a paru ressentir une nette vibration, comme si l’atmosphère autour de nous avait tinté.


Les faits : Alors la lumière orangée s’est mise à gonfler et s’étirer comme une flamme, et sur la ligne qu’elle dessinait l’air s’est entrouvert – et il m’a semblé que j’étais moi-même ouvert, comme si mon âme se trouvait soudain à l’air libre. Et c’est à ce moment-là je crois que le temps s’est déchiré en deux, et que j’en ai perdu la notion. 


Les faits : Par la fente du monde que nos voix avaient ouverte, une forme minuscule s’est avancée en volant un huit complexe. Puis elle est venue se poser sur la main de Séléna qui lui a souri, et qui a murmuré : « Je crois qu’elles veulent bien revenir, mais nous ne devons pas faire de bruit. »


Les faits : Sur son estrade bétonnière, Soledad a enjoint d’un geste magistral à la foule à garder le silence. Les faits : Et la cohorte des abeilles est revenue au monde. Les faits : Nous avons reçu en plein visage une nuée d’abeilles comme une pluie d’or tremblée, une caresse infinie, brillante et mate comme un velours moiré, avec des sons d’océan de cils oscillants au tympan pistonné vite et petit comme un voile ou un os tremblé.


Le chant mondial : Aujourd’hui, et en relai de l’enquête initiée par ce blog, aux quatre coins du globe, des hommes et des femmes chantent pour faire revenir ici une grenouille disparue, ici cent espèces, ici un tigre ou un singe. Puisse ce chant ne plus cesser.






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